Fioretti # 5 - La servante apprivoisée
Fioretti de saint Jean Bosco
- La servante apprivoisée
L’abbé Bosco était au Grand-Séminaire, se préparant au sacerdoce. Profitant des vacances d’été il décida de se rendre à la cure de Cinzano pour y passer la journée en compagnie de son ami l’abbé Comollo. Encadré par quatre joyeux garçons parmi lesquels se trouvaient un géomètre et un futur juge de paix… l’abbé Bosco arriva devant la porte du presbytère vers la fin de la matinée. Hélas ! les volets étaient clos et un profond silence entourait la maison. « M. le Curé serait-il absent? Sonnons toujours se dit l’abbé ; nous verrons bien ! » Et il sonna… Au bruit de la clochette se répercutant au long d’un vaste corridor une femme âgée parut. Le chignon en bataille, l’œil méfiant, un brin de moustache grise au coin des lèvres, elle n’avait pas l’air commode…
- Excusez-nous, dit l’abbé en la saluant ; nous sommes venus voir M. le Curé et son neveu l’abbé Louis.
- Il n’y a personne ici, répond la servante d’un ton sec. M. le Curé est parti à Sciolse avec son neveu pour une conférence. Ils ne rentreront pas avant ce soir.
L’abbé Bosco sent que la vieille demoiselle a été dérangée et n’est pas du tout contente de leur visite. Comment faire pour l’amadouer ?
- Quel dommage, reprend l’abbé d’un air navré. Nous aurions été si heureux de passer la journée dans cette jolie cure ! Si au moins il y avait cette gentille et dévouée mademoiselle Madeleine !
A ces mots, comme Maître Corbeau dans la fable du bon La Fontaine, notre servante flattée se rengorge. Dans ses yeux le regard s’est subitement radouci… L’abbé Jean, né malin comme Maître Renard, s’en aperçoit… Et il ajoute aussitôt : «Cette brave femme est un vrai trésor pour M. le Curé. Malheureusement elle a dû l’accompagner à la conférence. »
La vieille fille boit ces paroles comme du petit lait. Elle… à la conférence de M. l’archiprêtre et avec M. le Curé ! Quel honneur ! L’abbé Bosco sentant que la place commence à fléchir… ajoute bien vite : « J’aurais aimé la saluer ainsi que mes amis. — Saluer qui ? demande la servante qui n’en croit pas ses oreilles. — Mais mademoiselle Madeleine ! Malheureusement elle n’est pas là, — « Mais bien sûr que si qu’elle est là ! C’est moi », ajoute la vieille gouvernante en rougissant.
- Vous, mademoiselle, dit l’abbé qui le savait depuis le début de la conversation. Mais alors nous sommes sauvés. N’êtes-vous pas l’âme de cette maison ? Sans vous que ferait M. le Curé ? — Je ne suis que son humble domestique protesta faiblement Madeleine. — Enfin, mademoiselle, puisque nous avons eu la chance de vous trouver, dites à M. le Curé et à son neveu combien nous regrettons qu’ils n’aient pas été là. Tant pis, nous reviendrons une autre fois.
- Mais où allez-vous manger à cette heure ?
- Oh ! nous nous débrouillerons…
- Et comment ? Avec votre soutane vous ne pouvez tout de même pas aller dans une auberge ! Entrez donc !
— Non, non, Mademoiselle. M. le Curé n’y étant pas, c’est trop délicat. — Mais j’y suis moi, voyons. Allez, entrez ! — Non, non. Vous ne nous attendiez pas. Cela vous dérangerait vraiment trop ! — Pas du tout. Je vais vous préparer quelque chose. Entrez.
Et nos cinq voyageurs de franchir le seuil, sourire aux lèvres, tandis que la servante, passant un tablier, se met à son fourneau.
En un tournemain la rude Madeleine leur prépara un vrai banquet. Quand arriva le dessert on trinqua joyeusement avec le fameux vin des collines d’Asti. Et M. le juge avec le géomètre s’écrièrent en chœur au dessert :
« Vive l’abbé Bosco ! A son sourire personne ne résiste. »
« Et vive mademoiselle Madeleine qui nous a si bien traités ! » ajouta l’abbé en levant son verre dans la direction de la servante rayonnante de bonheur…
Une fois de plus l’apologue du fabuliste s’était réalisé !