CÉLIBAT ET ESCHATOLOGIE

Voeu de chasteté, de virginité - 5

CÉLIBAT ET ESCHATOLOGIE

CÉLIBAT ET ESCHATOLOGIE

(cf. T. J. van Bavel, Le cœur de la vie religieuse)

Il ne me semble pas juste de justifier le célibat sur la base des carences de la vie conjugale. Le célibat ne doit pas être présenté comme une protestation contre la confusion sexuelle actuelle pleine d'infidélité et d'égoïsme. Le bon mariage lui-même sera une protestation contre cela, car le mariage ne peut jamais être assimilé à une liberté sexuelle sans entraves. Il est vrai, bien sûr, que le mariage peut encapsuler plutôt qu'ouvrir une personne. La sexualité comporte en effet le risque de plonger l'homme dans l'instant, ou de considérer le partenaire sexuel comme un objet, ou de laisser le sexuel devenir l'expression du pouvoir et de la domination. Mais de tels dangers et risques sont à leur manière également présents dans d'autres modes de vie, y compris religieux.

Ne sommes-nous pas alors confrontés à notre époque à une survalorisation de l'acte sexuel comme mode d'expression ? Cela semble effectivement être le cas. Le célibat peut agir comme un signe d'avertissement dans ce cas-là, mais un mariage sain peut probablement le faire encore mieux. Une attitude impétueuse envers le mariage doit certainement être remise en question. La protestation est certainement aussi nécessaire contre l'imposition du sexe comme produit de consommation. Rien n'empêche les religieux de faire front avec d’autres personnes contre la commercialisation du sexe (principalement féminin).

La vie religieuse peut bien protester contre l'exploitation et les abus, mais cela ne me semble pas être le sens premier du célibat religieux. Ce sens est plus fondamental et correspond au sens eschatologique, tel que nous l'avons décrit plus haut. Le choix du célibat religieux sera toujours un choix de foi, exprimant quelque chose de l'initiative de Dieu et de la relation personnelle avec Dieu. L'explication ultime de la vie religieuse reste Dieu, qui apparaît à la frontière de toute relation humaine comme la dernière plénitude de toutes. A cet égard, le célibat religieux est complémentaire de l'expérience des personnes mariées. L'homme vit le sexuel non pas exclusivement comme un besoin, mais comme un désir. Les besoins peuvent être satisfaits par la possession ; non pas les désirs. L'homme vit le sexuel plutôt comme une réalisation de l'amour. Mais les personnes mariées elles-mêmes déclarent que l'amour conjugal ne peut être assimilé à la totalité. Ils trouvent normal qu'on n'atteigne pas la totalité avec un autre être humain. Une personne reste toujours insatisfaite. Sa réalisation sexuelle est portée par un désir d'amour parfait, qui transcende nécessairement l'homme. Même quand on vit avec l'être aimé, il reste un manque et une carence. Tout être humain vit dans la perspective de sa limitation et de la mort.

Ainsi le célibat garde ouverte la perspective d'un accomplissement à venir qui transcende toute existence présente. La négativité du célibat religieux a le même sens que toutes les autres formes d'ascèse : à savoir celui d'un vide qui évoque autre chose ; c'est une question de sens, également au-delà du mariage. Même si le célibat d'un religieux ne faisait que poser plus vivement la question du sens ultime, cela aurait déjà un sens. Vu ainsi, le célibat s'inscrit dans la conception de la vie religieuse pour révéler la tension eschatologique à l'œuvre dans notre histoire. Toutefois, il faut se garder d'imaginer le célibat lui-même comme un mode d'existence eschatologique. Il est également facile de tomber dans des exagérations ici.

Le célibat s'inscrit donc dans une certaine distance et réserve vis-à-vis du système social. Il est curieux qu'Augustin présente toujours la vie religieuse comme « quitter le monde (saeculum) ». Le mot "saeculum" est toujours associé aux idées du "temps" et de l’"histoire". En renonçant au mariage, on sort en quelque sorte de l'histoire, c'est-à-dire qu'on renonce à la continuation de l'histoire. Il faut aussi y réfléchir, car cela implique en réalité une lourde responsabilité. Contrairement au mariage, dans la vie religieuse gagner sa vie, faire carrière, travailler au monde, se rendre disponible dans un métier spécialisé ne se trouvent pas au premier plan. Cela signifie que le mariage reste une nécessité pour le monde. Il convient toutefois de noter que le mariage, de par sa nature même, oblige davantage une personne à entrer dans le système social et l'y lie aussi plus fortement.