La correction fraternelle, dans la vérité et la charité
Par amour de son frère et de la vérité, la correction fraternelle à laquelle appelle Jésus doit provoquer en soi une douleur mêlée de douceur.
La correction fraternelle, dans la vérité et la charité
Par amour de son frère et de la vérité, la correction fraternelle à laquelle appelle Jésus doit provoquer en soi une douleur mêlée de douceur.
Jésus nous invite dans l’evangile à la correction fraternelle (Mt 18, 15-20). S’il y a bien quelque chose de délicat dans la vie chrétienne en générale, et dans la vie familiale ou la vie religieuse en particulier, c’est la correction fraternelle. Et parce que la correction fraternelle est infiniment difficile, on en vient facilement à l’abandonner. Or la correction fraternelle est souvent un devoir. Dieu explique ainsi au prophète Ézéchiel, que ne pas avertir son frère qui pèche mortellement, c’est de facto être aussi coupable que lui (Ez 33, 7-9). Voilà qui devrait faire réfléchir. Mais si je m’en tenais là, je ne pratiquerais la correction fraternelle que par peur pour le salut de mon âme :
« Si je ne corrige pas le péché de mon frère, j’irai brûler en Enfer avec lui. »
Ce n’est pas forcément faux, mais très insuffisant. Dans la correction fraternelle, il faut passer de la crainte égoïste pour soi-même à la charité débordante pour le prochain.
L’amour du frère
Plus encore que la crainte pour mon propre salut, ou même que le souci plus noble du bien commun, ce qui motive la correction fraternelle, c’est l’amour du frère. Cet amour dont saint Paul, à la suite de Jésus, rappelle qu’il est l’accomplissement ultime de tous les préceptes de la Loi, c’est le seul motif valable de la correction fraternelle (Rm 13, 8-10).
Certes, la correction fraternelle relève par un côté du devoir de justice, selon que le péché de mon frère offense la communauté et s’attaque au bien commun. C’est pour cela que Jésus envisage une réponse graduée qui élargit le cercle à chaque étape :
1- d’abord le reproche seul à seul,
2- puis avec un ou deux témoins si nécessaire,
3- puis devant toute la communauté s’il faut en venir à cette extrémité.
Le péché déchire en effet la tunique sans couture de l’Église, et la correction fraternelle vise alors à recoudre délicatement l’endroit de la déchirure. Comme dans les travaux de couture, il s’agit ici d’éviter, en voulant recoudre la déchirure trop hâtivement ou trop grossièrement, d’élargir finalement la déchirure et de la rendre irréparable. Il faut les doigts de fée d’une couturière expérimentée pour corriger délicatement le pécheur sans aggraver le mal.
Mais la correction fraternelle relève plus encore du devoir de charité, selon que le péché de mon frère blesse d’abord en profondeur celui-là même qui le commet. L’enjeu de la correction fraternelle n’est donc pas d’abord de rétablir la justice ou d’éviter la contagion du péché au sein de la communauté. Il s’agit de sauver un frère qui, par ses actes, dégrade en lui-même l’image et la ressemblance de Dieu. Saint Thomas d’Aquin définit ainsi la correction fraternelle comme « une sorte d’aumône spirituelle, un acte de charité, pour écarter d’un frère le danger qu’est le péché ». C’est parce que l’autre est mon frère que je viens à lui, par amour, pour l’aider à s’amender. C’est parce que je me sens le gardien de mon frère, parce que notre fraternité crée entre nous une responsabilité réciproque, que j’interviens.
La correction fraternelle est un acte d’amour et un acte de confiance : je n’interviens que parce que j’ai confiance en la capacité de mon frère à changer, à se convertir. D’ailleurs, si au terme d’un vrai discernement dans la réflexion et la prière, j’estime que la correction fraternelle ne sera pas reçue, et provoquera davantage de rancœur que de fruits de conversion, il vaut parfois mieux que je m’abstienne. En ce sens, il faut éviter toute précipitation dans la correction. La promptitude à corriger est parfois imprudente, et signale souvent que c’est ma colère qui parle et non ma charité. Si j’éprouve du plaisir ou du soulagement à pratiquer la correction fraternelle, c’est l’indice presque infaillible que je fais fausse route. La correction fraternelle devrait provoquer en moi plutôt une certaine douleur mêlée de douceur.
Le grand enjeu, en matière de correction fraternelle, c’est d’honorer à la fois le substantif et l’adjectif. Dans la correction fraternelle, il s’agit effectivement de corriger d’une part, et de le faire fraternellement d’autre part. Le terme de correction fait peur : on parlait autrefois de maisons de correction, on plaignait tel enfant corrigé à coup de bâton par son père.
Mais la correction, bien comprise, réside dans un rapport à la vérité.
On corrige une dictée, parce que tel texte ne respecte pas la vérité de la langue française.
On corrige un défaut de caractère, ou un acte, parce que tel comportement ne respecte pas la vérité de la personne humaine, créée à l’image de Dieu. La correction procède de l’amour de la vérité, pour soi et pour les autres.
Je ne dois pas avoir peur de corriger, même mon prochain, si ma démarche procède de mon amour pour la vérité. Combien de saints ont été gâchés parce que personne n’a osé les corriger ! Sous prétexte de tolérance, d’indulgence, je me tais, et c’est en fait lâcheté, ou indifférence. Les chrétiens sont spécialistes de cela : c’est le silence des agneaux, ou des moutons…
Mais la correction doit être fraternelle. Et c’est là où nous avons du mal. Celui à qui je dis le mal qu’il fait, c’est mon frère. Il me ressemble d’ailleurs, jusque dans son péché. Pratiquer la correction fraternelle suppose la conscience d’être moi-même pécheur, peut-être plus que mon frère. Il est mon frère parce qu’il est une créature du bon Dieu (et peut-être même qu’il est baptisé. Mais même s’il ne l’était pas, il serait mon frère) parce que dans son visage, je reconnais une étincelle de la bonté divine.
Alors si je corrige, c’est discrètement, avec douceur, avec humour peut-être, et en faisant le chemin avec mon frère plutôt que de seulement lui indiquer la direction. Et puis je procède par étapes, progressivement, comme le suggère Jésus : attention à ne pas m’habituer à tenir un petit tribunal d’Inquisition à usage personnel, où l’excommunication et le bûcher sont vite arrivés, fût-ce seulement dans ma tête. Mais il y a des bûchers fictifs qui carbonisent l’amour et ils sont tout aussi graves que les vrais…
La correction fraternelle n’est possible que parce que là où deux ou trois sont réunis au nom de Jésus, Jésus lui-même est au milieu d’eux. Si Jésus n’était pas au milieu de nous et ne nous communiquait pas sa grâce, nous serions incapables d’une correction fraternelle qui soit véritablement une œuvre de charité. On pourrait définir la correction fraternelle de la même manière que la sainteté : tenir ensemble la vérité et la charité. C’est une ligne de crête. Nous avons toute la vie chrétienne pour y parvenir. Alors les pardons reçus et donnés auront un goût d’éternité.
- Fr. Jean-Thomas de Beauregard, op - 04 septembre 2020 sur Aleteia