La spiritualité salésienne

Saint François de Sales

La spiritualité salésienne

La spiritualité salésienne

EXTRAIT DE : Histoire de la spiritualité moderne et contemporaine (Automne 1998)
Faculté de théologie et de sciences religieuses Université Laval, Québec, QC
Professeur : Hermann Giguère


1.3.1 Orientation de base : le primat de l'amour

C'est une orientation théologique et pratique. Pour François de Sales, le primat de l'amour est fondé sur une anthropologie, une vision de l'homme dans ses rapports avec Dieu. Il a une vision optimiste de Dieu et de l'homme. Celle-ci découle en grande partie de son expérience personnelle, notamment la crise de ses dix-neuf ans. Cette vision optimiste s'oppose à une vision plutôt pessimiste d'origine augustinienne dans laquelle l'homme n'a rien de bon. François de Sales prend la contrepartie de ce pessimisme ambiant.

a) Vision de Dieu

- Il va renverser les perspectives qui ont cours à son époque. Il insiste sur la miséricorde de Dieu, sa bonté, son amour. Et il est moins sensible à la justice, à la colère et à la puissance de Dieu. Beaucoup de sermons de son époque portaient sur la puissance de Dieu qui punissait ; sur le Christ subissant la colère de Dieu ; sur la vengeance de la faute. Le résultat du virage qu'opère François est une attitude de confiance en Dieu plutôt que la peur et la crainte.

- Il insiste aussi sur l'aspect de gratuité de l'amour de Dieu qui nous aime sans mérite de notre part. Il va tout centrer là-dessus. L'amour de Dieu qui nous prévient, qui est premier. Il développe sur ce plan des positions théologiques très précises. Il s'éloigne des thèses thomistes, pour adopter les positions du jésuite de Lisbonne Luis Molina (1536-1600) qui avait publié en 1588 son Concordia liberii arbitrii cum gratiae donis, mais que François ne cite pas par ailleurs (cf. Lajeunie, t. 1 p. 150). Il est plus moliniste que thomiste sur ces questions. Dans l'élaboration de sa spiritualité, il part d'une perspective plus existentielle et pratique plutôt que théorique. Peu importe les opinions théologiques. Il a mis au centre de sa vie la primauté de l'amour et il en fait le pivot de toute sa spiritualité.

Ainsi François de Sales n'est pas du tout augustinien comme le seront les jansénistes plus tard. En conséquence, sa théologie présente une conception optimiste de la grâce, du salut et de Dieu lui-même.

b) Vision de l'homme

François de Sales va être frappé par une certaine bonté naturelle de l'homme. Il est un peu dans la ligne de Jean-Jacques Rousseau, avant le temps. Il est frappé par cette capacité de faire le bien qu'il y a en tout individu quel que soit son statut social ou ses opinions, d'où son respect pour les calvinistes. Il va se faire le promoteur d'un "humanisme dévot" (Brémond), a-t-on écrit, pour qualifier sa spiritualité, une spiritualité intégrée, pourrait-on dire en langage d'aujourd'hui (ou humanisme spirituel) où se manifeste, une très grande confiance dans l'homme. Il s'intéresse toujours aux aspects humains de la vie spirituelle, nous rappelant ainsi le mot de Pascal qui notait : "Qui veut faire l'ange, fait la bête". On ne peut, en effet, mettre de côté les réactions naturelles humaines sans risquer de s'évader dans l'illusion et le rêve.

1.3.2 Conséquences de cette primauté de l'amour

a) Le but et le moyen de la perfection, pour François de Sales, c'est l'amour. L'amour est le but et l'amour est aussi le moyen particulier pour arriver à la perfection. L'originalité de François de Sales, ce n'est pas de le dire, car saint Paul l'avait dit avant lui cf. I Co 13. L'originalité de François de Sales réside dans le fait qu'il structure tout autour de cela.

b) Ainsi en ce qui regarde l'ascèse ou les efforts de l'homme dans son chemin spirituel : ce ne sont pas les jeûnes, les veilles, les sacrifices, les actes, mais l'intention avec laquelle ces pratiques sont faites qui compte. Leur qualité réside dans l'intention. Il va sans cesse maintenir que c'est l'intention de charité (d'amour) qui anime nos actions qui leur donne toute leur valeur. Pas d'ascèse pour l'ascèse, pas de pratiques pour les pratiques, mais ascèse, exercices animés d'une intention qui leur donne toute leur valeur. Pris en eux-mêmes, dira-t-il, exercices et les pratiques de toutes sortes n'ont aucune valeur.

1.3.3 Les thèmes particuliers de sa spiritualité

a) Sanctification dans sa situation de vie.

François de Sales met l'insistance sur la sanctification dans sa situation de vie. Il insiste sur le devoir d'état. C'est dans l'état où nous sommes que nous trouvons le lieu et le moyen de notre sanctification. Voir dans le Recueil de textes et documents ses lettres à des femmes mariées éditées par l'abbé Caffarel à ce sujet. Il accorde une grande importance à la sanctification dans le mariage. Il est un des premiers auteurs spirituels à écrire pour les gens mariés. Il esquisse une véritable spiritualité conjugale. Il met la première fin du mariage dans l'amour mutuel et non dans la procréation, ce que reprendra Vatican II.

Il prône un réalisme dans la vie spirituelle, une certaine patience avec soi-même, et accorde beaucoup d'importance au rôle des "petites croix" dans la vie quotidienne. Il se méfie de ceux et celles qui "cheminent par les sommets". Il propose une spiritualité à la portée de tous, accessible à tous.

b) La méthode de prière

Il va donner une méthode simple, adaptée aux laïcs qui ne sont pas des contemplatifs dans les cloîtres. Une prière méthodique. Il l'exprime dans l'Introduction à la vie dévote pour Philothée, c'est-à-dire pour Madame Charmoisy et pour nous aussi. Il explique comment méditer sur un mystère ou sur l’Évangile. C'est lui qui a introduit l'idée d'un bouquet spirituel : une phrase ou une pensée qui rappelle durant la journée ce que l'on a vécu dans la prière. Il accorde de l'importance à la prière liturgique et non seulement à la prière privée. Il n'est pas dans la ligne de la prière simplement inspirée, sans aucun point d'appui.

c) Sa pédagogie spirituelle

Pour François de Sales, la direction spirituelle ou l'accompagnement spirituel est une œuvre de collaboration entre un directeur (un accompagnateur ou une accompagnatrice) qui est un ami et une personne qui vient auprès de lui pour prendre des conseils. Il élabore une pédagogie spirituelle centrée sur la personne. Il est rogérien avant le temps, peut-être. En tout cas, sans parler directement de non-directivité, il sait laisser celui ou celle qu'il accompagne se prendre en main par lui-même. Le conseiller (le directeur selon le vocabulaire de François) se contente de l'aider par ses conseils, de l'écouter et de le stimuler. Jamais, il ne s'est considéré comme un maître à suivre. Sa pédagogie spirituelle se fonde sur la persuasion et la suggestion. Direction spirituelle indirecte. Écouter la personne. Tenir compte du temps. Prendre patience. Avancer lentement, mais sûrement. Il a bien saisi l'aspect de cheminement de la vie spirituelle. Il invite très souvent ses dirigés à ne pas brûler les étapes (v.g. la présidente Brûlart).

Il va donner beaucoup d'importance à l'aspect affectif, amical, dans la direction spirituelle. Il n'a pas peur de l'amitié et des marques d'affection spirituelle. Ses lettres à Jeanne de Chantal ressemblent à des lettres d'amour parfois.

Conclusion

L'influence de François de Sales est une influence qui joue plus par sa personnalité, sa qualité propre d'homme spirituel que par ses disciples. Il n'a pas eu beaucoup de disciples immédiats. Peu vont écrire et commenter François de Sales. Il a une personnalité charismatique. Son disciple immédiat le plus connu est Jean-Pierre Camus, évêque de Belley. Il a écrit L'esprit de Saint François de Sales.

Les conférences saint François de Sales aux Visitandines (Les Vrays Entretiens) furent beaucoup lus au XIXème siècle sous le titre Le petit directeur selon saint François de Sales (cf. Jean-Claude Colin). C'est en ce siècle que la spiritualité salésienne va trouver un canal de diffusion privilégié en Don Bosco, fondateur des Salésiens (la Société saint François de Sales fondée en 1859, précédée de la fondation en 1841 d'un Oratoire). La popularité de François de Sales ira en augmentant et il sera proclamé Docteur de l'Église le 19 juillet 1877. (cf. Pedrini dans Le scuole della sp. cristiana... p. 546).

Sa personnalité charismatique a fasciné ses contemporains et continue de le faire encore aujourd'hui. Il a une influence très grande dans la spiritualité en général, la spiritualité chrétienne. C’est l'influence de l'homme et du pasteur "qui connaît ses brebis et que ses brebis reconnaissent".

Hermann Giguère, professeur

(Source : Coopbelsud)