Fioretti #2 - Je ne crois pas au Diable

Fioretti #2 - Je ne crois pas au Diable

A la ferme des Becchi Antoine avait causé tant d’ennuis à son plus jeune frère que Maman Marguerite dut les séparer. Antoine étant seul en âge de diriger les travaux, ce fut Jean qui alla chercher du travail ailleurs. Après bien des refus notre futur saint trouva enfin une porte qui s’ouvrit. C’était celle d’un riche fermier des environs nommé Moglia. Il embaucha le jeune garçon comme berger. Bien vite d’ailleurs le brave homme se félicita de l’avoir pris à son service. Il se prêtait à tout. De grand matin il partait labourer avec son patron ou bien l’aidait à attacher la vigne au flanc des coteaux. Au retour il menait paître le troupeau, veillant sur lui avec le plus grand soin. Quand arrivait le dimanche, Jean, qui gardait au fond du cœur le désir de devenir prêtre, rassemblait dans la grange les garçons du voisinage. Là, pendant des après-midi entiers, il les amusait par toutes sortes de tours qu’il interrompait pour les faire prier ou leur raconter des histoires édifiantes.

C’est à cette époque qu’un petit événement, en soi fort modeste, le rendit célèbre dans toute la contrée.

Durant la mauvaise saison les Moglia avaient coutume d’organiser de longues veillées dans leur ferme. Autour de l’âtre, où l’on jetait d’énormes bûches de bois, voisins et voisines se rassemblaient pour bavarder ou chanter quelques vieilles romances. Un certain soir où quelqu’un avait entonné un cantique de mission, la conversation roula sur le ciel puis sur l’enfer. A propos de ce dernier un grand garçon, pas très malin, avait lancé en ricanant : « Moi n’y crois pas à l’enfer ! » Les braves paysans, qui étaient tous de fervents chrétiens, avaient été scandalisés par ces paroles, et la conversation avait tourné court. Soudain, dans le grand silence de la nuit, on entend du bruit au grenier… Tout le monde se met à trembler… le garçon fanfaron plus que les autres ! « Ne serait-ce pas la réponse du démon ? » murmure-t-on à la ronde… Et plus personne n’ose bouger. Jean seul ne perd pas la tête.

« Montons là-haut, dit-il. Nous verrons bien si c’est le diable ! » Et courageusement il ouvre la marche. Le patron le suit, portant une lampe à bout de bras. Arrivés près de la porte du grenier les hommes ouvrent avec précaution. Par un vasistas mal fermé un coup de vent balaye soudain le grenier et souffle la flamme. Nos timides explorateurs tremblent de plus en plus. « Rallumez ! » crie Jean qui garde toujours son sang-froid. Le père Moglia obéit. Alors le jeune valet saisit la lampe des deux mains puis résolument s’avance dans la pièce. Devant lui il aperçoit un gros tamis retiré là jusqu’à la prochaine moisson. Et voilà que subitement celui-ci se met à danser sur le plancher !

Panique générale… Les compagnons de Jean se précipitent vers la porte et dégringolent les escaliers en se bousculant. Lui au contraire s’avance vers le tamis puis le soulève d’un geste rapide de la main. Surprise ! Que voit-il ? Une poule, heureuse d’être enfin délivrée et qui se sauve en caquetant ! C’était elle la cause de tout ce vacarme… « Tu trembles devant une malheureuse poule prisonnière, dit Jean en retrouvant le pauvre fanfaron réfugié à la cuisine, et tu veux nous faire croire que tu n’as pas peur de l’enfer ! Va le dire à d’autres, mon vieux !» Ainsi, par son seul courage, le petit pâtre des Becchi mit K.O ce soir-là un valet de ferme sans doute plus sot que méchant…