STRUCTURE ET INSPIRATION

OBEISSANCE - 7

STRUCTURE ET INSPIRATION

STRUCTURE ET INSPIRATION

(cf. T.J. van Bavel, Le cœur de la vie religieuse)

L'obéissance religieuse diffère de l'obéissance chrétienne générale en ce qu'elle est une dépendance librement recherchée d'un groupe particulier de personnes. Il s’agit ici de se lier aux autres dans la liberté et l'amour. Pas juste dans le vide, mais à cause d'une inspiration fondamentale religieuse commune. L'obéissance religieuse est donc également se soumettre ensemble dans la liberté et l'amour au Christ et à son message.

Beaucoup, cependant, se demandent si une vocation religieuse doit être exprimée par des vœux. Ils se demandent si leur engagement religieux doit être lié à une communauté. Les doutes qui sous-tendent ces questions sont généralement liés à la peur des structures et de l'institutionnalisation. Après tout, les structures empêchent souvent l'inspiration. Les structures peuvent être vraiment frustrantes. L'amour est parfois menacé plutôt que promu par une institution.

En effet, il faut admettre que si l'on ne fait pas attention, les structures menacent l'engagement global de soi-même dans la grande aventure et le mystère de la vie qu'est l'amour. Par conséquent, ni les vœux ne doivent devenir une parole donnée une fois pour toutes, ni l'institution un concept statique dans lequel on chérit la confiance en soi. Parce que de cette manière, les vœux et la communauté deviennent un automatisme, une tradition sans âme et une routine. Peu à peu, on s'éloigne l'un de l'autre ; au mieux, on continue à se tolérer, malgré tout ce qui est intolérable. L'attitude de dépendance est alors confondue à tort avec la sainteté personnelle et les lois et les règles prennent un poids qu'elles ne possèdent pas d'elles-mêmes. Là où l'attachement à la loi va remplacer l'inspiration personnelle, il n'y a plus de vraie rencontre.

Les vœux et la communauté doivent donc continuer à être vus et vécus comme des valeurs dynamiques. Tout le monde doit être conscient qu'il doit être récupéré chaque jour de l'ornière de la routine, de la paresse et de l'amour de soi.

Le sens le plus profond de la structure et de l'institution est de créer la liberté. Il faut essayer de garder cette intention fondamentale aussi transparente que possible. Cependant, l'aversion moderne pour les structures ne doit pas conduire à un rejet aveugle de toutes les structures. Car à partir d'exemples ordinaires de la vie quotidienne, on peut déjà déduire que l'homme a besoin de structures pour exister. Il y a des structures dans les aménagements de la société, des structures dans la circulation, des structures dans le sport. Mais ils servent à ce que l'homme puisse se mouvoir librement dans une certaine mesure ; on apprend un certain mouvement de nage, fortement structuré, à se déplacer librement dans l'eau ; les structures de circulation sont respectées afin de conduire plus librement ; on se soumet aux structures de la langue pour se parler. Un monde sans cadre ni structure deviendrait un monde insensé dans lequel la personnalité périrait. L'aspect positif d'une structure doit être qu'elle fournit un cadre pour le chaos de la liberté. Une structure libère l'individu de l'obligation de choisir et d'être créatif à tout moment. Personne ne peut donner une créativité continue ; si l'on exigeait une créativité continue de la part d'une personne, il risquerait s'y perdre plutôt que de se retrouver. Cela conduit inévitablement à une surtension. C'est pourquoi L. Moulin peut aussi écrire : « Les institutions religieuses enseignent à toute forme de société que l'homme doit se maîtriser et se dépasser. Cependant, l'homme ne peut pas faire cela sans une certaine organisation de la vie, sans cadres, sans autorité, sans ordre et sans une conscience approfondie de ce qu'est la communauté. L'équilibre entre communauté et personne est atteint là où la structure n'écrase pas la personne, mais aide à devenir soi-même ; et où la personne reste prête à accepter ces structures, qui ont besoin d'une communauté pour exister. Par exemple, il doit y avoir un équilibre entre structure et liberté. C'est une illusion de croire qu'une communauté pourrait exister sans aucune structure. Après tout, chaque personne forme déjà un « donné » pour chaque autre personne, dont l'autre doit tenir compte, et c'est déjà une structure. On constate donc que même dans les groupes libres non officiels, les structures apparaissent spontanément, car dans un groupe certaines sections se forment nécessairement, ne serait-ce qu'à cause de la différence de talents et de capacités.

Charles Péguy remarque que le mot le plus fondamental pour désigner la liberté est le ‘désordre’. Cela devrait être un avertissement pour chacun de nous, car une vérité importante est exprimée ici. Pourquoi la liberté ne peut-elle jamais être complètement forcée dans des cadres ? N'est-ce pas parce que la liberté a besoin d'espace ? Parce que la liberté respecte les contradictions naturelles et la différence de conviction ? Laisser la liberté de quelqu'un d'autre implique nécessairement un pluralisme sain. Si on veut la supprimer, on tombe dans la dictature. Cela signifie également qu'une structure n'est ni un sauvetage ni une garantie de la présence de l'esprit.   L'inspiration et l'esprit ne peuvent jamais être remplacés par des structures. L'existence religieuse ne fonctionne pas automatiquement ; elle n'assure pas sans ambiguïté un véritable abandon religieux et la liberté.

En fin de compte, la vie religieuse est toujours une attitude vivante de service personnel à l'Évangile en communion avec les autres. Le cœur d'une communauté est l'expérience personnelle ; les structures ne sont qu'un cadre aidant. L'abandon et l'engagement ne sont une réalité que si l'on se rend et s'engage dans l'action. Tout le reste est abstraction. Ce n'est que dans l'action que la contribution propre du religieux au développement du monde pourra être concrètement clarifiée, que l'homme et le monde sont, au plus profond d'eux-mêmes, focalisés sur le Christ, qui inclut tous. Ce n'est qu'ainsi que la vie religieuse peut proclamer qu'en fin de compte l'homme n'est pas seul, mais qu'il est attendu par un Amour, par une Communauté que nous appelons le Christ.

C'est pourquoi l'obéissance, c'est aussi oser dans la vérité. La vérité demande du courage ; car la vérité n'est pas une possession tranquille ; elle doit toujours être réalisée. Les religieux ne veulent pas être étranglés par le passé, car ils se rendent compte que notre monde est aussi un appel à suivre un chemin inconnu vers le futur. Libérés de la contrainte des traditions bloquées, ils veulent être libres aussi pour ce qui ne peut être lu à partir de la forme du passé, pour de nouveaux chemins non battus. Car si le Royaume de Dieu implique une tâche pour l'instant, il reste aussi un avenir.