Aspects de la vie en communauté - 4

RELATION ENTRE UNE COMMUNAUTE DE VIE ET UNE COMMUNAUTE DE TRAVAIL

Aspects de la vie en communauté - 4

RELATION ENTRE UNE COMMUNAUTE DE VIE ET UNE COMMUNAUTE DE TRAVAIL

(cf. T. J. van Bavel, Le cœur de la vie religieuse)

La relation entre les deux n'est pas indiscutable. Il y a, pour ainsi dire, une certaine tension entre les deux. Il est clair qu'une communauté de travail doit, dans une certaine mesure, être également une communauté de vie, et qu'une communauté de vie doit travailler pour éviter de tomber dans une fainéantise absurde. Une communauté sans engagement social se tourne vers la consanguinité égale et termine par se préoccuper unilatéralement de son propre petit groupe. D'un autre côté, l'expérience enseigne également que la vie peut être supplantée par le travail. Il est donc important de continuer à penser ici de manière équilibrée. Être ensemble sans travailler ensemble dégénère en une sorte de sentimentalité. Mais travailler ensemble en soi ne répond pas pleinement à l'objectif social humain, c'est-à-dire le désir de communication personnelle. Cette tension est à l'origine des opinions assez contradictoires que l'on entend aujourd'hui défendre. Il existe un groupe qui met fortement l'accent sur la valeur de la vie communautaire en soi. Et il y a un autre groupe qui soutient que la vie est le travail et que la valeur d'une communauté dépend de son engagement concret et de son travail.

Y a-t-il un moyen de sortir de ce dilemme ? Je le crois.  La solution consiste à éviter de créer un dilemme. L’on ne peut pas vivre sans travailler et l’on ne peut pas travailler sans vivre. Cependant, je pense qu'il faut aller un peu plus loin. Il y a tout de même une certaine hiérarchie à indiquer. La communauté de l'efficacité trouve son ultime achèvement en étant ensemble et non l'inverse. La connexion personnelle dans les relations interpersonnelles est la chose la plus élevée qu'une personne puisse réaliser. C'est également là que réside le plus grand enrichissement. En cela, je suis d'accord avec la déclaration du psychologue G. De Cock : que les gens ne choisissent pas pour une fonction, mais pour la totalité d'une communauté.

Les membres d’une communauté ne peuvent coexister que lorsque tous trouvent dans l'objectif l'expression de leur volonté.  Cet objectif peut différer considérablement selon que l'accent est mis sur un aspect différent. Par exemple, on peut mettre moins l'accent sur les relations internes au sein de sa propre communauté et plus sur le projet sur lequel on travaille ensemble. Toutefois, personne ne peut vivre sans relations personnelles avec les autres, qu'il les poursuive au sein de son propre groupe ou à l'extérieur. Il en a besoin pour l'épanouissement de sa propre personnalité. De cette façon, les relations personnelles conservent une certaine priorité sur le travail. Tout comme le travail a du sens en soi, la vie communautaire en soi a du sens. Les deux ont leur propre signification. Ils ne doivent pas être joués les uns contre les autres ni nier la valeur de l'un ou de l'autre. Cependant, il reste important de comprendre que le travail commun crée un lien entre les personnes, mais qu'il n'est pas encore une communauté de vie à part entière.

La communauté de vie et la communauté de travail ne peuvent donc pas être absolument séparées. En réalité, elles doivent se réunir à nouveau. Il est difficile de se regarder toute la journée sans rien faire. Une communauté de vie complètement enfermée en soi-même n'aurait aucun sens. Au contraire, elle doit avoir un sens par rapport à l'appel du monde. Même une communauté contemplative, à sa manière, écoute l'appel du monde, et il serait faux de penser qu'une communauté contemplative est enfermée en elle-même.

Bien qu'il faille veiller à ce que la communauté de vie reçoive une attention particulière, il faut toujours la voir en lien avec l'activité, tout en rappelant que le sens du mot « activité » est plus large que la seule activité externe. (La contemplation et la réflexion sont aussi des activités !). La communauté des personnes est cependant minée si l'on prétend sans nuances que "le travail est le droit d'exister d'une communauté religieuse". En réalité, l'existence d'une communauté religieuse est plus compliquée et plus riche. La communauté est plus qu’une association de membres qui se réunissent en fonction de la réalisation d'un objectif extérieur, auquel tout le reste est subordonné. Judicieusement, R. Hostie écrit à cet égard : « Cet objectif peut se draper dans de nombreuses formes : notre travail, notre enseignement, notre service, l'Eglise (comme une force de combat en vue de la conquête), le Royaume de Dieu (en tant qu’entreprise que nous mettons en place) etc. A chaque fois se produit le même scénario : les membres deviennent des moyens - peut-être des moyens de première classe - qui, cependant, n'ont de valeur que dans la mesure où elles contribuent à cette fin. L'organisation efficace domine sur la communion des personnes et le rendement apostolique remplace le témoignage évangélique, le supérieur devient le chef d'entreprise et les religieux se sentent - parfois non sans une certaine fierté - comme des pièces sur un échiquier ou des roues dans une machine. En effet : peut-être un jeu extrêmement intéressant et fascinant se joue sur cet échiquier ; peut-être cette machine a-t-elle été ingénieusement conçue pour un rendement étonnant. »

Le texte précédent illustre très bien comment un accent unilatéral sur le travail peut impliquer un appauvrissement de l'être humain. Nous ne devons pas oublier que notre culture a aussi ses préjugés. Une existence humaine significative est désormais facilement assimilée à un travail significatif. Mais cela ne se produit-il pas sans réfléchir suffisamment ? L'utilité, les affaires, et la fonctionnalisation, prises isolément et à leur place, sont bonnes. Mais ce n'est pas sans raison que leur règle coercitive est de plus en plus contestée. Il ne convient pas de juste vouloir travailler, performer, produire et gagner. N'oublions-nous pas trop d'être ?  Cette tension entre le travail et l'être se reflète dans la figure de Pallieter (figure légendaire, heureux de jouir de la vie – note du traducteur), qui lorsqu'un passant lui a demandé : "qu'est-ce que tu fais là ?", a répondu : "je suis".

(traduction par Camiel S.)