Aspects de la vie en communauté - 7
PERSONNE ET COMMUNAUTÉ
PERSONNE ET COMMUNAUTÉ
(cf. T. J. van Bavel, Le cœur de la vie religieuse )
Il existe également une relation réciproque entre la personne et la communauté qui crée une certaine tension. Une personne ne peut exister sans la communauté et une communauté ne peut exister sans les personnes. Une personne est plus qu'un individu seul. Un individu seul, livré à lui-même, est incapable de s’épanouir comme une personnalité à part entière. Pour ce faire, il a besoin de relations avec les autres. Mais une personne est aussi plus qu'un être collectif. La collectivisation générale ne considère la personne que comme faisant partie d'un ensemble plus vaste, mais ne peut garantir l'autonomie et la liberté d'une personne. Une communauté collectiviste est toujours encline à retirer l'autonomie et la liberté de la personne et à se les attirer à elle-même. Mais pour devenir une personnalité, il doit y avoir la possibilité de choisir et de décider par soi-même. Le choix et la décision personnels développent précisément la responsabilité d'une personne.
Ainsi, ni une communauté ne doit écraser la personne, ni l'individuel de la personnalité ne doit détruire une communauté. Les deux existent par grâce l'un de l'autre. C'est un grand malentendu de mettre unilatéralement en évidence l'un ou l'autre des pôles, soit la personne, soit la communauté. Si on prétend qu'à notre époque, la sphère de vie individuelle libre doit venir en premier, alors ce n'est que la moitié de la vérité. Il se peut que notre temps accentue fortement la personnalité, la vie privée, la liberté et la responsabilité. En réponse à l'impersonnalité et à la massification de notre culture, cela est compréhensible et même nécessaire, mais cela ne devrait pas être une raison pour faire basculer la balance dans une direction. Cependant, cela se produit lorsque quelqu’un se déclare opposé à une communauté de vie, car cela laisserait une marque sur la vie de l'individu. Bien sûr, une communauté affecte la vie de l'individu ! Mais pourquoi serait-ce mal ? Ne vivons-nous pas actuellement la fin d'un accent unilatéral sur le sujet ? Et cela dans de nombreux domaines, à la fois en psychologie, en économie, en politique, en philosophie et en théologie. Il y a clairement une réaction à l'hypertrophie occidentale du « moi », c'est-à-dire à la croissance anormale du personnalisme. De toute évidence, le contraire - mettre le « communautaire » au premier plan - comporte également des dangers. Je ne veux pas le nier. Il sera nécessaire d’être vigilant et de maintenir un équilibre sain.
L'interaction entre l'émergence de la personne humaine et son imbrication dans la communauté et le monde au sens large est remarquable. Un être humain naît plus impuissant qu'un animal. Cela signifie qu'il continue de passer un certain temps à un stade presque embryonnaire, dans lequel le sommeil et l'alimentation sont les principales activités. Pourquoi ce stade embryonnaire prolongé se produit-il chez l'homme et pas ou beaucoup moins chez l'animal ? Ce fait physique a-t-il une origine psychologique ? Est-ce parce que l'homme a été reçu dès son plus jeune âge dans un réseau conscient de nombreuses relations ? L'homme vit par la grâce des relations. La personnalité humaine se développe à travers ces relations. Vivre ensemble est une expérience primordiale de l'homme. Enfant, je suis reçu par les parents. Ils me font entrer dans un monde déjà habité par des millions de personnes. Ma naissance me place dans la sphère d'influence d'une certaine culture. J'apprends à parler des autres et je suis marqué par une langue. Les autres m'enseignent des connaissances acquises par d'innombrables générations. Parler, rire, l'entêtement ou les crises de colère n’ont pas de sens à moins qu'ils ne visent un autre. Chaque chose dans le monde a déjà un sens, une individualité et appartient déjà au monde d'un autre, de beaucoup d'autres. Mon monde que je dois construire, est notre monde.
Être une personne, c'est s'exprimer devant les autres et vivre sa propre existence dans et autour du monde qui m'entoure. Être limité dans les relations limite également la personnalité. Un individu n'atteint son plein épanouissement que s'il peut réellement participer aux aspirations et aux œuvres de la société et de la culture. Un individu dépend des autres pour sa croissance physique et mentale. Ce n'est que par la communication qu'il atteint sa maturité, c'est-à-dire la capacité de donner et de recevoir. Avant d'atteindre cette maturité, l'homme doit passer par plusieurs phases : la phase de dépendance complète du petit enfant, la phase d'opposition à cette dépendance, la phase de la volonté d'autonomie et enfin l'interdépendance fondée sur la compréhension mature que l'on a besoin des autres. Le désir de l'autre naît du mouvement de la vie elle-même, de l'envie d'en faire plus, du nouveau et de l'accomplissement de l'amour. L'isolement complet replonge un individu dans sa propre pauvreté. Cela peut également s'exprimer en termes d'utilité, bien que ceux-ci n'aient pas toute la profondeur d'être avec les autres. On peut dire que l'on est plus fort dans un groupe que quand on est seul, aussi envers la société. Le Père de l'Église Hieronymus l'a exprimé ainsi : dans une communauté, on est protégé contre les erreurs, on apprend l'humilité, la patience, le silence et la douceur ; là l'homme a toujours des exemples autour de lui ; on est encouragé à prier, à écouter, à obéir et à travailler ; on est constamment occupé, de sorte qu'il ne reste plus de temps pour un soin exagéré de soi.
D'après ce qui a été dit jusqu'à présent, il semble que l'originalité ou l'autonomie si glorifiée de l'individu ne doit pas être exagérée. Combien peu y a-t-il finalement qu'une personne n'a pas reçue ? Comment peu dont il peut s'appeler le créateur ? Il ne faut pas oublier cela dans un temps malade d'individualisme. Est-il sensé d’accuser la communauté comme cause de tout mal et injustice, de ridiculiser ou de faire dérailler toute éthique communautaire ? La « liberté illimitée pour l'individu » est-elle un idéal humain ? Ou est-ce la dernière étape vers l’arbitraire illimité et la recherche du pouvoir ?
Bien sûr, une communauté peut également détruire l'identité d'une personne. Une communauté doit rester consciente que pour sa propre force vitale, elle ne peut pas manquer l’identité, la liberté et la créativité des individus. La véritable unité doit "libérer" l'identité de l'individu, explique Teilhard de Chardin. Les personnes qui s'aiment vraiment deviennent plus conscientes de leur identité, en s’approchant davantage. La véritable unité n'asservit personne, ne veut pas soumettre, entraver ou mettre de côté quelqu'un. La véritable unité « super personnalise » selon Teilhard. La communauté élève l'individu au-dessus de lui-même. Mais cela n'est possible que si elle respecte pleinement l'individu. Dans une communauté, une personne doit pouvoir se réaliser.
La personne et la communauté forment en fait un lien vivant, un tout dynamique, dans lequel la communauté est présente dans la personne et la personne dans la communauté. La même chose peut être exprimée encore plus brièvement : la personne forme la communauté et la communauté forme la personne. Si une communauté est vraie, la contradiction entre la communauté et la personne n'est jamais ressentie comme désavantageuse. Il y aura toujours une certaine contradiction, car nous devons toujours traiter avec « d'autres » personnes qui doivent être respectées et aimées dans leur altérité (avec leurs propres désirs et leurs propres idées). Mais cela ne doit pas signifier un danger pour sa propre personnalité ; cela pourrait et devrait être un enrichissement. Une bonne communauté est : où toutes les personnes se portent bien.
Ni la communauté ni l'individu ne doivent se considérer comme une fin en soi. Ici, il est également très dangereux de parler de but et de moyens. Si l'on prétend que la personne est un moyen de service à la communauté, alors la personne humaine est dégradée. Une personne ne peut jamais et pour rien être un moyen, car elle est une valeur irremplaçable en soi. On ne peut pas non plus dire que la communauté est un moyen au service de la personne. Dans ce cas, la communauté est dégradée. Parce que la communauté n'est jamais une « chose », mais l'ensemble d'un certain nombre de personnes. Si l'on considérait la communauté comme un moyen au service de sa propre personnalité, cela reviendrait à ceci : on utiliserait les autres comme moyen pour sa propre personne. Il va sans dire que cela est éthiquement irresponsable. Il est donc important de maintenir un équilibre entre l'influence mutuelle de la personne sur la communauté et de la communauté sur la personne. On pourrait peut-être le décrire ainsi : chaque personne est la communauté d'une manière différente, nouvelle, originale et irremplaçable.
(Traduction : Camiel S.)