LA PAUVRETÉ COMME AUTO-ACCEPTATION

PROVISOIRETE ET RESTRICTION DE LA LIBERTÉ

LA PAUVRETÉ COMME AUTO-ACCEPTATION

LA PAUVRETÉ COMME AUTO-ACCEPTATION, PROVISOIRETE ET RESTRICTION DE LA LIBERTÉ

(cf. TJ van Bavel, Au cœur de la vie religieuse)

Etre pauvre au sens plus psychique de ce mot implique qu'on peut s'accepter. S'accepter avec ses propres capacités, mais aussi avec ses propres limites et défauts, n'est pas aussi facile qu'il n'y paraît. Beaucoup de gens ne sont pas satisfaits de ce qu'ils sont, mais ils aimeraient être « quelqu'un d'autre » tout le temps. Voici une grande cause de manque de joie de vivre, de découragement et de frustration, qui en fait ne donnent rien d'autre que la jalousie. D'autres aimeraient vivre à une autre époque ou avoir des problèmes différents. Mais fuir la réalité est une chose irréelle. C’est un témoignage d’un certain détachement intérieur d'accepter ses propres capacités, tempérament, hérédité, situation, temps et culture dans lesquels on vit. Il faut vouloir vivre dans la normalité, la limitation et la solitude du pauvre soi, mais aussi dans l'accomplissement joyeux de sa propre personnalité. Cependant, par « acceptation », nous n'entendons pas le fatalisme ou la résignation ; nous ne voulons pas dire par là l’immobilité ou le manque d'esprit d'entreprise. L'acceptation de soi telle qu'elle est conçue ici n'exclut pas du tout la recherche calme et équilibrée du mieux.

Cela inclut également le désir de vivre dans la finitude. Aucun être humain n'est capable de tout comprendre, ce qui, par exemple, devient clair lors de la prise de décision : chaque décision est aussi un adieu à mille autres possibilités. La plus grande tâche de l'homme fini est sans aucun doute : apprendre à vivre avec la mort.

Être capable d'accepter le provisoire de la vie est une autre facette du détachement intérieur. Cela est lié au fait que rien d'humain n'est définitif et que tout est changeant. Le temps passe inexorablement. Chacun vit vers l'avenir, car l'histoire ne s'arrête jamais, mais continue de progresser. Cependant, personne ne peut disposer de l'avenir. La tentation de rester immobile et de ne plus attendre d’avenir n’est pas du tout imaginaire.   On aimerait se reposer dans le définitif, mais ce définitif n'est jamais là. L’incertitude est l’une des caractéristiques de l’avenir. Surtout aujourd'hui, vivre sans peur dans une situation incertaine demande beaucoup de volonté et d'énergie. On entend de plus en plus de défis qui trahissent un certain désespoir : « si tu ne peux pas dire où ça va, alors je ne participerai pas ». Il est évidemment difficile d'accepter un avenir incertain, peut-être aussi sombre. Pourtant, précisément à cet égard, Jésus a été un exemple brillant. Il a accepté le risque de sa décision de vie et a oublié le souci obsédant de s’en remettre à lui-même. Il a osé lâcher son avenir et se livrer lui-même. Mais en cela il est devenu pleinement lui-même.

Il ne me semble pas, conformément au schéma de vie religieux, d'être entouré de toutes les garanties possibles pour l'avenir. Cependant, la tentation de le faire est grande. À cet égard, il faudra examiner attentivement ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. Mais dans tous les cas, il faut rester critique sur certaines exigences comme un revenu garanti, une pleine sécurité sociale, etc. Je trouve surtout le slogan que chaque religieux doit subvenir à ses propres besoins très ambigu. Si cela indique que personne ne peut vivre comme un profiteur aux dépens des autres, alors bien sûr rien ne peut être dit à ce sujet. Mais indiquer que le travail de chaque religieux doit être payé et qu'il ne veut plus rendre des services non rémunérés, cela va à l'encontre de la meilleure tradition de la vie religieuse. (Cependant, dans le travail non rémunéré, il faut veiller à ne pas nuire aux autres, qui sont forcés de travailler pour un certain salaire). Cependant, lorsque chaque religieux est obligé de gagner sa vie, il est privé de la possibilité d'agir librement et de rester disponible pour des besoins imprévus et non rémunérés. La prestation en retour n'a jamais fait partie du projet de vie des religieux. Au contraire, au cours de l'histoire, la vie religieuse s'est toujours caractérisée comme une intervention là où l'État a échoué. De plus, en gagnant leur vie, les religieux sont contraints de participer à la course sur l'échelle sociale. Faire une carrière, qui à notre époque souffre déjà pour tant de personnes qui doivent soutenir une famille, finira donc par dominer leur vie. À l'heure actuelle, les vœux signifient de plus en plus renoncer à la réussite sociale et à faire carrière.

Dans ce contexte, le risque d'une éducation théologique peut également être souligné. Parce qu'une formation théologique représente sans aucun doute un risque dans notre société, parce qu'on peut être presque certain qu'il ne sera pas possible de gagner sa vie. D’ailleurs quiconque veut travailler à la réalisation du Royaume de Dieu dans ce monde doit en principe renoncer au désir de mesurer les résultats. Le matériel (une église ou une école, par exemple) peut être mesuré. Mais cela ne s'applique pas à un changement de mentalité, qui inclut certainement la foi. Le Royaume de Dieu doit se manifester par des actes d'amour et de justice, mais en fait il reste immesurable. Ce n'est pas pour rien qu'on dit qu’il naît par la grâce de Dieu par l'intermédiaire de « serviteurs inutiles » et que « la graine germe et grandit pendant que le cultivateur dort » (Mc 4,26-29).

Quiconque accepte la vie religieuse sait qu'il renonce à certaines libertés. Cela fait également partie de l'aspect psychologique de la pauvreté. Nous n'avons pas besoin de nous attarder sur un certain nombre d'éléments tels que : ne pas pouvoir aller et se tenir où l'on veut, ne pas pouvoir tout expérimenter et tout vivre, ne pas pouvoir avoir tout ce que le cœur désire, ne pas lâcher prise dans une possession débridée. Ces éléments se produisent dans chaque vie, mais pas de la même manière. Par exemple, les normes sont différentes dans une famille et dans une communauté religieuse. Dans les deux cas, on renonce à certaines libertés et on en obtient d'autres à leur place. Dans une famille, il est normal que la responsabilité les uns envers les autres et envers les enfants exige un autre type de possession que dans une communauté monastique, où les gens peuvent prendre plus de risques et les prendre souvent. Mais surtout le célibat des religieux a des conséquences qui affectent fortement la pauvreté intérieure. Un certain degré de solitude, ne pas avoir de partenaire de vie, le manque d'enfants, ne pas avoir de maison et de foyer, bref, manquer l'environnement spécifique de sa propre famille, sont sans aucun doute des niveaux de pauvreté élevés qui présentent des exigences psychologiques. En passant devant la fenêtre bien éclairée d'une maison confortable, en ressentant la joie intime de la naissance d'un enfant, ou simplement en se sentant seul un dimanche, on peut en devenir pleinement conscient.