Aspects de la vie en communauté - 8

CHANCES DE SURVIE DE LA COMMUNAUTÉ RELIGIEUSE

Aspects de la vie en communauté - 8

CHANCES DE SURVIE DE LA COMMUNAUTÉ RELIGIEUSE

(cf. T. J. van Bavel, Le cœur de la vie religieuse)

À travers les âges, l'homme a rêvé d'une communauté parfaite, de paix et de justice entre des gens qui s'aiment. Dans certaines langues, le même mot signifie à la fois paix et communauté.  Depuis le début, la vie religieuse s'est inspirée de la communauté chrétienne de Jérusalem, comme décrit dans Actes 4, 32 : « La multitude de ceux qui étaient devenus croyants n’avait qu’un cœur et qu’une âme et nul ne considérait comme sa propriété l’un quelconque de ses biens ; au contraire, ils mettaient tout en commun ». Augustin décrit alors le monachisme égyptien antique dans les termes suivants : « Aucun orgueil ne les gêne, aucun fanatisme ne les incite, aucune jalousie. Ils sont humbles, réservés et pacifiques. » Ce n'est qu'à la fin du Moyen Âge que l'idéal communautaire des Actes est passé au second plan, pour s’adonner tout d'abord à l'apostolat.

On considère alors la vie religieuse davantage comme une sanctification personnelle en vue de l'action et du service. En même temps, il y a un changement dans la désignation « frères et sœurs ». Dans les temps anciens, elle fait référence à tous les chrétiens. Mais dès le troisième siècle, la désignation de « frères » se limite aux collègues dans le ministère. Et un peu plus tard, elle se réfère presque uniquement aux membres d'une communauté religieuse. L'expression « communauté religieuse » peut facilement donner lieu à une mauvaise interprétation : elle met l'accent sur « la concentration sur soi ». Le mode de vie existant des communautés religieuses a sans aucun doute contribué à cette interprétation. Cependant, « se concentrer sur soi » ne peut pas être l'intention initiale de la formation d'une communauté religieuse.

Apparemment, la tâche la plus difficile de l'existence humaine est de nouer une véritable communion avec les autres. Cela s'applique dans tous les domaines : la coexistence pacifique des peuples, vivre ensemble avec différentes races dans un même monde, la communauté matrimoniale ou la communauté religieuse. La communauté s'avère être une question extrêmement délicate. La raison n'est pas loin à chercher : c'est parce que l'amour est une donnée extrêmement délicate. L'amour n'est pas "inné". C'est une lourde conquête. L'enthousiasme et même une certaine naïveté sont nécessaires pour cela. Surtout à notre époque, nous voyons un grand besoin d'amour, de « chaleur communautaire », sans laquelle la vie perd tout son sens. Y a-t-il une réponse à l'isolement effrayant de l'homme moderne ? Est-il encore possible d’espérer une confiance et une amitié mutuelles ? Est-il possible de continuer à croire à la tolérance ?

Justement sur la base de leurs convictions religieuses, sur la base de leur croyance en ce Dieu de Jésus, ouvert à tout être humain sans exception, je vois ici une tâche pour les communautés religieuses d’aujourd'hui. Continuer à croire à la possibilité d'une bonne communauté humaine, c’est souvent se battre contre le désespoir. Continuer à croire à l'amour, c'est être patient avec soi-même et avec l'autre ; néanmoins, être patient suppose l'optimisme. Être déçu et continuer à faire quelque chose a à voir avec l'espérance eschatologique. Mais l'espérance eschatologique n'a-t-elle justement rien à voir avec la vie religieuse ?

Le désir d'une vraie vie communautaire est élevé chez les jeunes. Chez les jeunes religieux aussi… La psychologie moderne nous assure que la créativité est particulièrement évidente dans la phase d'autonomie, c'est-à-dire chez les jeunes. Il est donc vital pour chaque communauté d'écouter les jeunes. Parce qu'écouter les jeunes, c'est écouter l'avenir. Du film marxiste "Enfants de la Révolution", je retiens la déclaration suivante : "Aucune communauté ne peut se permettre d'être rejetée par sa jeunesse, ou de perdre le contact avec sa jeunesse. Cela ne signifierait rien de moins que la destruction de cette communauté elle-même. » Et la Règle de Benoît (3,3) ne dit-elle pas que l'abbé doit consulter tout le monde "parce que le Seigneur montre souvent au plus jeune ce qui est le mieux" ?

... Sans renoncer au dialogue entre les différentes générations, cela peut être un motif d'espoir de penser que finalement les jeunes doivent porter l'avenir. Sont-ils suffisamment préparés pour cela ? Nous devons oser donner à temps la responsabilité à d’autres, et, dans la conscience de la relativité de toutes choses, oser faire confiance à l'avenir que nous ne contrôlons pas. L'idée que des erreurs seront commises ne doit pas nous décourager.   Aucun de nous n'a appris à marcher sauf parce que d'autres nous ont fait marcher… et tomber. Tous les changements et innovations commencent généralement comme des « erreurs », c'est-à-dire comme des violations et des écarts par rapport au système appliqué, jusqu'à ce que la nouvelle forme devienne générale ; alors l'erreur d'hier devient la règle d'aujourd'hui. La transition de l'ancien au nouveau ne se fait jamais sans tensions. Les valeurs existantes et fiables agissent comme un frein à tout ce qui est nouveau. C'est aussi normal. Sans cet effet inhibiteur, toute innovation risque de ne pas être suffisamment critique ou de perdre tout sens de la relativité. La vie se déroule toujours dans la tension entre conservation et évolution. Il est bon que l'homme apprenne à se considérer comme un maillon d'un tout plus vaste qui se transcende. Ce tout plus grand peut être appelé futur. Il peut également être appelé Dieu. Pour l'avenir, il est impératif que le rajeunissement ait toujours lieu. Vivre avec des jeunes signifie fondamentalement découvrir de nouvelles valeurs, apprendre de nouvelles opinions et idées. Et ce seront probablement ces nouvelles valeurs qui seront la nouvelle voie que l'humanité empruntera.

(Traduction : Camiel S.)