LA PAUVRETÉ COMME MODESTIE, HUMOUR, GRATITUDE ET DISPONIBILITÉ
Le voeu de pauvreté - 7
LA PAUVRETÉ COMME MODESTIE, HUMOUR, GRATITUDE ET DISPONIBILITÉ
(cf. T.J. van Bavel, Au cœur de la vie religieuse)
Jusqu'à présent, nous avons parlé des aspects plus personnels de la pauvreté intérieure. Cependant, les aspects sociaux ne sont pas moins importants.
Quelqu'un qui a l'esprit d'un pauvre n'aura aucune prétention. Il ne se considérera pas plus ou meilleur que les autres sur la base de quoi que ce soit : talent, raison, fonction ou vertu. La relation avec les autres est immédiatement apparente : seuls ceux qui sont sans prétention sont ouverts aux autres et peuvent entrer en vraie communion avec quelqu'un d'autre. Un personnage autoritaire reste fermé à lui-même, jouissant de sa propre excellence.
Il y a aussi une sorte d'avidité spirituelle. Certaines personnes sont si avares de leurs propres idées qu'elles ne peuvent pas s'en éloigner. Et dans un double sens. Ils ne laissent jamais les autres partager leurs idées et les gardent jalousement pour eux. C'est comme si personne n'avait rien à voir avec ce qu'ils pensent. La partie la plus riche de leur personnalité reste un territoire privé protégé, dans lequel personne d'autre ne peut pénétrer. Il va sans dire que c'est un sérieux obstacle à la communion avec les autres. Un phénomène connexe est l'incapacité de mettre ses propres idées et croyances en perspective. Il y a des gens qui ne peuvent jamais abandonner leur propre idée. Leur idée est, pour ainsi dire, leur richesse, dont ils ne peuvent pas se séparer. Cependant, la modestie d'esprit interdit de canoniser ses propres idées et de ne plus en prendre distance. La pauvreté d'esprit suppose une prise de conscience de la relativité de toute pensée humaine. Vouloir toujours avoir raison et adopter une attitude de confiance en soi sans faille, prive quelqu’un de la capacité d'écouter ou d'interagir avec les autres. Une personne qui n’est pas prête à renoncer à sa propre opinion n'est jamais prête à faire route avec d’autres, même d’aller avec son propre temps. Une telle personne vit dans un triomphalisme constant. Un tel triomphalisme peut également affecter un groupe ; il s'appuie alors sur la puissance du groupe auquel on appartient.
Un exemple merveilleux de vivre sans prétention est donné par le vieil évêque Ignace d'Antioche juste avant son martyre, où il écrit aux Éphésiens : « Je ne vous donne pas des ordres comme si j'étais quelque chose. Car bien que je sois ligoté à cause de son nom, je ne suis pas encore parfait en Jésus-Christ. En fait, je commence tout juste à être son disciple et je m'adresse à vous en tant que mes condisciples. Car il me convient d'être fortifié par vous dans la foi, l'avertissement et la patience ».
Si l'humour joue avec la relativité de nos idées, alors l'humour fait aussi partie de l'esprit de pauvreté. La satisfaction et la gratitude sont également dans la même ligne. La satisfaction signifie que l'on peut être en paix avec ce que l'on est et ce que l'on a. Nous avons déjà vu comment cela doit être compris : non pas comme inactivité, mais comme apprécier et jouir de ce que le moment offre. Dans notre société, l'art de la satisfaction est à tort passé au second plan. Mais seule une personne satisfaite pourra donner la paix aux autres. Quiconque est toujours mécontent ou insatisfait, ne fait que critiquer tout et casse tout. Toujours critiquer de façon négative n'est certainement pas une forme de protestation appropriée. Une personne satisfaite peut contester et retrousser ses manches ; l'un n'exclut pas l'autre.
La gratitude est proche de la satisfaction. Une personne reconnaissante reconnaît sa dépendance envers un autre ; il n'en a pas honte. La gratitude est une forme d'appréciation de l'autre. C'est pourquoi la gratitude lie si fortement les gens les uns aux autres. La personne reconnaissante sait que ce qu’elle est, est grâce à ce qu’elle a reçu. Elle se rend compte que toute l'existence humaine est en fait un don. Tout ce que je suis en tant que personne, ma vie, mes pensées, mes sentiments, mes paroles ou mon amour, je l'ai reçu d’autres. En tant que croyants, nous pouvons dire : nous avons reçu tout cela de Dieu, tant que nous n'oublions pas que cela se fait à travers des êtres humains.
Une dernière façon de vivre la pauvreté est de laisser les autres se disposer de vous. D'autres prennent effectivement mon temps et je dois leur donner « mon » temps. Bien sûr, vous ne pouvez jamais avoir du temps pour les autres. C'est pourquoi il faut pouvoir abandonner consciemment son temps. Ignace d'Antioche le déclare justement dans sa lettre à Polycarpe : « Un chrétien ne doit pas être seigneur de lui-même, mais donner son temps à Dieu ». Il en va de même pour nos capacités. Celles-ci l’on peut également les conserver pour soi-même. Cependant, elles peuvent aussi profiter aux autres. Cela se produit lorsque je réponds à l'appel de l'autre et que je lui laisse partager mes capacités. De cette manière, on se rend finalement disponible pour les autres.